Un quart d’heure déjà que Sima était assis dans le bureau du rédacteur en chef du journal l’Impertinent. L’homme assis en face de lui semblait préoccupé par la teneur des informations contenues dans le journal qu’il lisait. Il parcourait consciencieusement les pages grises du quotidien et semblait oublier la présence du jeune homme.
Asseyez-vous donc lui avait-il lancé, lors de son entrée dans le grand cube cerné par le ronronnement du climatiseur de marque Airwell. Le rédacteur en chef était un homme sérieux, une carrure de judoka, le regard négligé ; il vous observait presque sans vous voir. Sima avait pris place sur une chaise et plus un mot ne s’était partagé entre les deux hommes.
S’était-il trompé d’adresse en se rendant au siège de ce journal peu connu du grand public ? Son amie Priscille était pourtant formelle, « l’Impertinent et son rédacteur en chef seront de parfaits supports de diffusion et de promotion pour ton ouvrage ». Un livre sur les délices de la cuisine thaïlandaise, Sima avait voulu être novateur. Dans ce pays africain, la mode est plutôt aux plats surgelés importés d’Amérique. Un livre, quelle idée légère ; un fast-food à l’américaine, voilà qui aurait fait l’affaire ici. Depuis quelque temps, des signes forts marquent l’intérêt du pays de l’oncle Sam pour son homonyme bilingue, l’Union Sud Africaine. D’ailleurs une grande ambassade estampillée USA est en construction non loin du palais présidentiel. Des School Bus jaunes transportent des ouvriers turcs acheminés dans la moiteur équatoriale, afin de réaliser l’édifice athénien.
La cuisine thaïlandaise connaîtrait certainement des jours heureux ici, chacun doit à sa manière contribuer à la construction du village planétaire pensait Sima, occupé aussi à imaginer les réponses qu’il fournirait au rédacteur en chef. Comment est né le projet ? Qui est Sima Mismeyo’o ? Compte-t-il publier d’autres livres ? Comment s’intéresse-t-on à la cuisine thaïlandaise ?…A chaque question, une réponse sûre, efficace, pertinente, Sima était décidé à bien dealer son projet. Les chemins de l’avenir sont multiples, mais la route du succès est singulière. Telle était la philosophie de Sima, le fils de Mismeyo’o, vénérable notable du village Ekoumdoum.
Le temps n’avait plus d’importance, l’attente pouvait durer une éternité, Sima était dans le bureau du faiseur de miracles, le grand manitou de l’Impertinent. Le froissement des pages s’ouvrant entre les mains du rédacteur en chef est bientôt interrompu par l’entrée discrète d’une jeune femme dans le bureau somnolant. Sans doute la secrétaire servant des nouvelles fraîches au grand chef pensa Sima. « Je vous présente mademoiselle Angèle, elle s’occupera de vous jeune homme. Bonne chance et au revoir » avait juste dit le directeur. Mademoiselle Angèle tenait une copie déjà malmenée de l’ouvrage écrit par Sima Mismeyo’o. Elle lui sourit poliment et l’invita à la rejoindre dans une salle propice à la réalisation de l’interview.
« Voici la salle de rédaction, Monsieur Sima, je vais m’entretenir avec vous ici ». Grande salle rectangulaire, l’atmosphère lourde, des hommes et des femmes affairés devant des machines à écrire et des ordinateurs portables. Quelques uns parcourent fébrilement des journaux posés sur une longue table en bois épais. Deux chaises placées à un coin de la table, Sima qui s’installe sur l’une d’elle…Le volcan de son esprit de s’envoler bientôt, quand un désir puissant s’éprend de lui. Il voudrait déjà mieux connaître cette femme élégante. Il lui semble pourtant l’avoir déjà croisée quelque part. Ce sourire amical, cette voix chaleureuse, ce parfum aux parures de nature sauvage ne s’oublient guère. « L’orgueil de chine : vous connaissez mademoiselle ? »
Man Ekang.