Nous n’allons pas
faire semblant, car il ne s’agit pas de roman; mais bien de la réalité vécue au
lieu-dit rond-point Déido le mercredi 13 févriers à 18h30.
Nous n’allons pas
inventer de noms, car il ne s’agit pas de fiction où l’imagination est en
action; mais bien de la triste vérité avec des personnages rocambolesques; peu recommandables et particulièrement
condamnables.
Parce que ceux qui
sont encore en capacité de s’indigner et de dire non, tous ceux qui ont les
moyens intellectuels de décrire l’horreur de l’inadmissible dans ce pays ;
le Cameroun ; doivent tenir fermement la plume de la dénonciation et la
tremper avec conviction dans le vrai, le juste, le bien.
Nous n’allons pas
jouer les poltrons, les comiques ou les saintes nitouches, car ce qui est en
jeu est trop important pour être galvaudé sur l’autel de la peur, de l’humour
ou de l’hypocrisie de la fausse retenue. Il s’agit de valeurs, en d’autres
termes de la frontière qu’il y a à préserver entre l’Homme et la bête de somme ou
celle de Sodome.
Parce que l’image
parle et que celle qui figure sur cet écrit traduit l’instantané de l’opération
malsaine de deux gendarmes de la brigade de Mboppi à Douala, en train d’accomplir
leur funeste forfait ; le dégonflage des roues de mon véhicule pour le
plaisir de violer la tranquillité des paisibles citoyens, nous allons l’afficher
pour mettre une fois pour toutes un visage sur l’haleine putride de l’intolérable
dans notre pays.
Après une journée de
labeur bien remplie, rehaussée de faits amusants comme bien souvent à
Douala ; retournant vers ma cabane en très exquise compagnie ; de
celles qui donnent envie d’écouter Johnny Hallyday chanter « les portes du
pénitencier vont bientôt se refermer » en sifflotant dans son véhicule incandescent ;
je prends le chemin du retour, vers ma chaumière. Je me suis alors promis de savourer
une bière fraiche et légère en relisant les aventures congolaises de Jean Bofane,
avant le juste sommeil. Il est 18h15.
A 18h35 ; après
m’être faufilé tant bien que mal dans ces bouchons qui nous pourrissent la vie
entre le lieu-dit rond-point du 4e et le rond-point Déido ; je conduis
ma passagère exquise à un endroit sûr, celui qui lui permettrait de trouver un
taxi qui la conduirait chez elle; il faut avouer que le soir, donner le
qualificatif d’endroit sûr à une rue de Douala tient plutôt du pari très risqué.
Mais, je me dis qu’avec un peu de chance, ce petit espace vide aménagé en
bordure de la route, devant cette station d’essence de la compagnie MRS est un
endroit sûr. Un havre temporaire exempt de tout badaud malintentionné ou d’un
quelconque attroupement de malabars oisifs en ce début de soirée.
Endroit sûr signifiera
donc que j’éviterai à la dame le vol de son téléphone portable ou une agression
verbale gratuite ce soir ; mais je ne saurai dire avec certitude ce qui
adviendrait d’elle dans le taxi qui la conduirait dans son quartier là-bas à
Bonamoussadi. C’est connu en effet qu’à Douala, les brigands ont érigé les
taxis en terrain d’excellence de l’agression violente.
Quant à moi, ayant
vérifié que je me trouvais à un endroit où je ne gênais pas la circulation et
n’enfreignait aucune règle de conduite ; j’allume mon clignotant droit et je
m’arrête quelques secondes en bordure de route, devant la station d’essence de
la compagnie MRS; le temps de permettre à mon amie de sortir en toute sécurité
du véhicule, de refermer la portière et de s’en aller bien plus haut, trouver
un taxi. L’arrêt de mon véhicule, l’ouverture de la portière, la sortie de la
dame et la fermeture de la portière auront duré…4 secondes….
Je n’avais pas
alors imaginé qu’en embuscade, non loin de là, camouflé dans la rue à 18h40; un
gendarme béret rouge négligemment vissé sur le ciboulot rognait son frein, impatient de sauter sur une
proie ; prêt à rugir. Le pickpocket
ou le brigand n’étaient pas dans son objectif, mais bien le citoyen paisible, pour
des raisons de racket connues. Les transporteurs routiers habitués des exactions
et abus de cette petite légion honteuse de la brigade de gendarmerie du
quartier de Mboppi à Douala me l’avoueront ensuite, « la gendarmerie de
Mboppi saute sur le rond-point Déido tous les jours » ; la haute expertise
en escroquerie et en corruption de certains de ses éléments est scandaleuse et
quotidienne. « Vous êtes en infraction ; l’arrêt est interdit ici»
qu’il m’affirme, le plus jeune des gendarmes, un sourire féroce lui déformant les
mandibules tel un cabot fier de sentir l’odeur forte de son nouveau pipi sur le
trottoir.
Fermement opposé à
l’idée de servir de repas du soir à un quelconque prédateur en cette fin de
journée et ne songeant qu’à rentrer me reposer chez moi ; je demande à
comprendre et tente une explication rationnelle devant l’animal déchaîné. Il
appelle alors son adjudant de chef jusqu’alors affalé dans la buvette aménagée
dans la station d’essence et buvant une bière pendant son service en
méditant dans son ébriété manifeste sur les
forfaits du jour et ceux encore à venir en cette fin de journée chaotique à
Douala.
« S’il vous
plaît, ne dérangez pas les citoyens paisibles ; occupez-vous des voleurs,
ceux qui pillent le pays, qui nous empêchent d’avoir des hôpitaux, d’inscrire
nos enfant à l’école ou de vivre décemment » lui dis-je. « Je
m’appelle Adjudant Meli et je n’ai peur de personne» qu’il m’affirme en désignant
vaguement un insigne collé sur sa tenue. Du fait de son état alcoolique avancé,
de son peu d’instruction sans doute et de l’émotion suscitée par ma réaction inattendue ;
Il débite alors une sarabande incontrôlée et incompréhensible sur des ordres du chef de l’état du Cameroun,
ceux du gouvernorat du littoral, de la préfecture de police et de la communauté
urbaine de Douala qu’il doit appliquer avec sévérité sur le rond-point Déido.
Présentez-vous
qu’il m’intime l’adjudant de gendarmerie. « Je suis serge Mbarga Owona ;
en tout cas c’est le nom que je porte”, lui répondis-je. Ayant pris ma réponse
pour une insoumission à ses ordres théâtraux, il ordonne à son subordonné de
dégonfler toutes les roues de mon véhicule ; ce dernier s’exécute avec
application et méthode ; dégonflant l’une après l’autre trois roues de ma
voiture pendant que je fais montre d’un calme qui me surprend encore…
Trois roues de mon
véhicule complètement à plat ; un attroupement se forme bientôt autour de
moi et de mes bourreaux du soir. Chacun y va alors de son commentaire sur le
zèle quotidien du très célèbre adjudant Meli, connu dans le coin pour ses actes
d’intimidation et de corruption batifolant toujours avec la dizaine de milliers
de francs CFA par jour. D’autres gendarmes arrivent bientôt sur place et je
suis rapidement encerclé, accusé de semer le trouble sur le carrefour et d’en
appeler à la rébellion des badauds...
Le deuxième acte de
cette mésaventure se jouera avec la disparition subite des gendarmes et la
remise de mon dossier entre les mains d’un officier de police en charge de la
circulation routière sur le rond-point Déido. Après deux heures de palabres,
d’observations réciproques silencieuses et de patience passées entre le
commissariat de fortune construit en bordure du rond-point et le bord de la
route ; la sentence de l’agent du maintien de l’ordre tombera dans le
creux de mon oreille ; ce sera dix mille franc dans les poches de
l’officier de police en charge de la circulation routière. Dix mille francs à
payer pour une infraction imaginaire stupéfiante ayant entraîné deux heures de
temps perdu, le dégonflage de trois pneus de mon véhicule et l’encastrement du
quatrième dans un sabot de la communauté urbaine.
Dans une espèce d’antichambre
construite dans le minuscule local policier du rond-point Deido, je remis le
prix du déshonneur à l’officier de police. Mais avant cet échange avilissant,
honteux et furtif entre le dossier de mon véhicule et le billet de dix mille Francs
CFA, le vieil officier de police ayant constaté ma lassitude et mon inclination
à lui remettre la somme convenue ; il se sera dépêché de me conseiller de faire
réparer rapidement mes pneus avant l’habituelle coupure de courant du soir. Il aura
ensuite grimpé tel un chiot en rut sur une moto-taxi pour aller selon ses
termes « récupérer les clés du sabot au commissariat de police ».
La carence de
valeurs et la corruption demeurent l’alpha et l’oméga dans notre république des
chiots.
Manekang.