A une époque déjà lointaine, la reine de beauté Mona Lisa était alors une jolie princesse fon du Dahomey, je participai avec le duo savant et loquace de l’association Le Vaste Songe à un salon multiculturel dans la ville lumineuse, Paris. Divers exposés étaient présentés lors de ce forum, dont une conférence débat sur le rite de la dot au Cameroun.
Dans l’ambiance sympathique d’une maison de la Culture française, le beau
monde créatif de la diaspora africaine se retrouva gaiement, déambulant entre
les stands des artistes musiciens, ceux des écrivains, des conteurs, des
danseurs, des créateurs locaux franciliens. Les stylistes et toute leur
élégance racée n’étaient pas en reste dans ce salon fraternel dévoué à l’affirmation
et à la célébration des aspects intellectuels des civilisations africaines en
France.
Quel ne fut pas mon étonnement lorsqu’avec une évidence préoccupante, l’invité
du comité d’organisation, représentant le ministère de la culture du Cameroun
introduisit son exposé sur la dot en citant le dictionnaire Larousse…Nous
savions déjà que le bateau culturel camerounais prenait de l’eau de toutes
parts ; mais là, nous assistâmes en direct au sabordage du paquebot illustre
des ténors de la finesse culturelle camerounaise représenté par Thérèse
Sita Bella, Manu Dibango, Mongo Beti, Ferdinand Oyono, Guillaume OYONO Mbia, Dikonguè
Pipa, Eboa Lotin, Daniel Kamwa, Ottou Marcellin, Richard Bona, Samy Mafani, Ali
Baba, Dave K Moctoï, Pierre Didi Tchakounté, Oncle Otsama, Jean Miché Kankan, Zanzibar
Epémé, Essindi Mindja…
Quelle idée de citer Le Larousse quand il suffit de prendre exemple sur les
multiples cérémonies de dot auxquelles il nous est donné d’assister pour en
tirer une définition générale, même imparfaite « La dot est un rite coutumier
amical de rencontre entre la famille du prétendant et celle de sa promise au
cours duquel les deux familles apprennent
à se connaître dans le jeu des joutes orales et de la théâtralité des requêtes
à satisfaire, à détourner ou à contourner… ». Pour définir la dot donc,
nul besoin de citer Le Larousse, car cet événement, nous le célébrons ou nous
le subissons depuis des temps immémoriaux.
De la même façon, pour évoquer le cinéma camerounais et surtout l’impatient
désir de regarder le film « Le président » du réalisateur Jean-Pierre
Bekolo Obama, nous n’aurons nullement besoin de définir ce qu’est le cinéma ni
ce qu’est un président ou un réalisateur d’ailleurs. Nous n’utiliserons ni le
Larousse, ni Le Petit Robert. Trois mots seuls nous permettront d’expliquer
pourquoi ce film plaît déjà dans le contexte précaire du Cameroun pris dans l’étau
des thuriféraires libéraux communautaires. Trois mots seulement expliqueront
notre engouement pour la nouvelle œuvre artistique de Jean-Pierre Bekolo :
La constance, le courage et l’esthétique du réalisateur.
Depuis son premier long métrage « Quartier Mozart », que nous
vîmes au Palais des Congrès de Yaoundé en 1992, la marque du professionnel s’imprime
dans chaque œuvre du réalisateur Jean-Pierre Bekolo. Professionnalisme dans le
choix des acteurs ; Jimmy Biyong dans « Quartier Mozart » ;
Abessolo Mbo et Joséphine Ndagnou dans «L es Saignantes » ;
Gérard Essomba dans « Le président » ; professionnalisme dans l’écriture
des dialogues et dans le rythme soutenu de l’œuvre cinématographique.
Bekolo Obama raconte une histoire qui maintient le spectateur en éveil, qui
l’interpelle en s’inspirant de son environnement pour le dépasser grâce aux facilités
et envolées de l’imagination. Une histoire qui nourrit les préoccupations du
cinéphile en lui apportant un silo de réponses en une seule séance de diffusion
cinématographique. Il s’agit de combler l’envie de divertissement et d’amener à
comprendre en distrayant. Il y a donc constance dans le professionnalisme,
constance dans l’engagement à traiter des sujets importants sans crainte des controverses
éventuelles, intrépidité face au courroux de tous les censeurs, dépositaires des
pratiques et des illusions éculées d’une époque insipide révolue.
Si dans son premier long métrage « Quartier Mozart » les thèmes
de la transsexualité et du machisme sont évoqués dans l’environnement précaire
d’une banlieue populaire du Cameroun, dans
son troisième film « Les saignantes », le favoritisme et la
corruption entraînent une rencontre dramatique entre un directeur du cabinet
civil de la présidence dépositaire du bien public et des entrepreneuses
mi-putes mi-maîtresses désireuses de remporter des marchés publics en proposant
leurs corps en offrande. Une lugubre chambre surnommée commission nationale de
la censure et logée au ministère de la culture proposa de retirer certaines
scènes du film jugées « contre le régime et pornographique ». L’art
ayant pour objet la valorisation du beau ; il est clair que si un régime n’est
pas beau ; il sera plus souvent anti-art.
Dans l’environnement très insuffisamment logique du Cameroun, la règle d’or
étant à l’attentisme et à la prudence; le courage de dire ce qu’on pense
ou de montrer ce qu’on voit apparaît alors comme une entreprise risquée à
laquelle le plus malin et le moins jacobin s’abstient prestement afin d’éviter tant
bien que mal les écueils qui surgiraient subrepticement à chaque détour de rue.
Le courage devient alors la valeur de ceux qui imaginent la possibilité d’une
réalité autre, plus positive et profitable au plus grand nombre… « Quand
on veut vous réduire, on vous réduit à la réalité, alors que c’est l’imaginaire
qui fait la force. » affirme le réalisateur Jean-Pierre Bekolo dans le
quotidien camerounais Mutations. Son dernier long métrage intitulé « Le
président ; comment sait-on qu’il est temps de partir » poursuit dans
cette lancée de valorisation de l’imaginaire pour la victoire de l’esthétique.
En 1960, Henri Verneuil cinéaste français ayant fui la Turquie dans sa
tendre enfance réalisa « Le Président ». Il y évoquait alors une
réalité française de la quatrième république marquée surtout par l’instabilité
politique et des gouvernements aux durées de vie étranges ; tel ce
gouvernement de Christian Pineau qui dura en tout et pour tout…Un jour ! Dans
son film, Henri Verneuil traitait d’une réalité française avec un point de vue
d’artiste avant tout, mais d’artiste français surtout. Jean-Pierre Bekolo, sans
être adepte connu de l’école Verneuil choisi d’évoquer des problèmes du Cameroun
avec un point de vue camerounais, une vision artistique camerounaise. Cela donne
aujourd’hui son film « Le Président ».
Ayant vu le teasing de ce long métrage il y a quelques mois sur Internet,
je fus séduit et conquis par le discours de l’actrice qui joue le rôle de la
présidente ; Hildegarde Banaken. La présidente parlait le langage de la
vérité aux camerounais ; elle parlait camerounais aux camerounais ;
elle traçait des lignes d’espoir avec ses beaux yeux radieux et souriants. J’aime
le discours de la présidente ; j’aime la présidente ; j’aime cette œuvre
artistique dont la fiction nourrit l’espoir en projetant un imaginaire puissant ;
puisant aux sources de nos forces multiculturelles et nous élevant vers une renaissance
dans cette féminité belle ; vraie ; puissante ; sereine et
rassurante.
Man Ekang.
Quelques réalisateurs camerounais et leurs œuvres :
- Bassek Ba Kobhio : Sango malo (1991), Le grand blanc de Lambaréné
(1995) ; le silence de la forêt (2003)
- Daniel Kamwa : Boubou Cravate(1972), Pousse Pousse (1975), Danse
automate danse (1980), Le cercle des pouvoir (1997), Mah Saah-Sah (2009)
- Dikonguè Pipa : Le prix de la liberté (1978) ; Canon Kpa Kum
(1981) ; histoires drôles, drôles de gens (1982)
- Jean-Pierre Bekolo Obama ; Quartier Mozart (1992), Le complot d’Aristote
(1996), Les saignantes 2005
- Josephine Ndagnou : Paris à tout prix (Joséphine Ndagnou)