dimanche 29 mai 2022
20 MAI 2022: Le défilé du cinquantenaire de la fête nationale du Cameroun.
lundi 23 mai 2022
Connais-tu mon beau village?
Au Cameroun, dans la région du
Sud, il y a un village qui s’appelle Akom Bikoé; il s'agit de mon village. J’y
suis allé depuis que j’ai cinq ans et à l’époque, j’y étais accueilli par ma
grand-mère paternelle qui arrivait dans la cour en courant, s’écriant « Mon
Mari est arrivé, mon mari même est arrivé »; puis elle me serrait
dans ses bras affectueux. Je suis en effet l'homonyme de mon grand-père paternel. Ce moment est resté le plus vieux souvenir de mon
village gravé dans ma mémoire.
Akom Bikoé est un village qui s’étire
sur une longueur de cinq kilomètres dans la forêt dense tropicale au Sud géographique du
Cameroun, et dans la région administrative qui s’appelle « Région du Sud ».
Ce village est situé dans le département qui porte le beau nom « Océan »
et fait partie de l’arrondissement appelé Mvenguë. Il y a deux autorités administratives dans mon village; une qui s’appelle le chef de
groupement, et l’autre, le chef du village. Dans ce village qui se développe en forêt tropicale dense, les femmes et les hommes sont reconnus par leurs liens familiaux.
L’union des familles constitue des clans et à l’échelle au dessus des
clans, il y a la grande organisation sociétale traditionnelle en lignages.
Mon village est situé au sud de
la Capitale Yaoundé, à une distance de 130 kilomètres sur une route bitumée sur une longueur de 117 kilomètres. La précision sur la longueur du bitume est importante, car j’ai
connu une époque où cette route était dans un état désastreux et poussiéreuse ou boueuse en fonction des
saisons. Il fallait posséder une puissante voiture de type 4x4, beaucoup de
courage, de la volonté et surtout de la patience pour se rendre dans mon
village, en effectuant un trajet minimum de 6 heures de temps. La route est
désormais en excellent état et les 13 kilomètres non encore bitumés sont en cours de travaux. Nul doute que dans 3 mois, il y aura du bitume
serpentant toute la forêt belle et profonde, dans les collines et les vallées
nombreuses de ce village magnifique.
Pour se rendre à Akom Bikoé, il
faut préparer ses yeux et tous ses autres sens à la découverte de l’extraordinaire.
Au départ de Yaoundé, on prend la direction du sud sur la Route Nationale 3. Il
y a sur le chemin 4 villes et un village d’étape: Ngoumou, Akono, Olama,
Ngomedzap et le village Ebouam. Pour arriver dans la ville de Ngoumou, on roule sur la Route Nationale 3 entre Yaoundé et Douala pendant quelques kilomètres, puis
dans la localité appelée Nnom ayos, on suit les panneaux indiquant Ngoumou. Entre
la ville de Ngoumou et la ville suivante appelée Akono, il y a une distance de
11 kilomètres, puis entre Akono et Olama, on parcourt 10 kilomètres. Depuis
Olama, pour atteindre la ville de Ngomedzap, il y a 24 kilomètres à parcourir.
Il y a ensuite 19 kilomètres entre la ville de Ngomedzap et le village d’Ebouam.
Une fois qu’on atteint le village Ebouam, il y a un embranchement routier en travaux
qui monte et descend dans l’escarcelle des collines dites d’Ebouam. C’est sur
ces nombreuses collines que sera posée la dernière portion de route bitumée en
travaux jusqu’à mon village akom Bikoé. Il y a 13 kilomètres de route entre
Ebouam et mon village.
Akom Bikoé est un beau village
qui plonge le corps et l’esprit dans la nature en pleine forêt tropicale.
Pourquoi je le trouve si particulier et tellement beau, ce village? Les
raisons sont nombreuses: le climat y est modérément chaud, sans l’humidité
des zones côtières qui semble propager la moiteur sur les sols et les maisons.
Il pleut en saison pluvieuse globalement entre les mois d’avril et octobre,
puis il y a un soleil toujours apaisé par le grand ombrage de la forêt de
novembre à mars.
Le paysage est constitué par une impressionnante
forêt qui occupe les vallées et les collines et dans laquelle on entend le
grondement des rivières dévalant les pentes luxuriantes ou coulant doucement
entre les racines profondes des nombreuses essences d’arbres centenaires qui grandissent en forêt. Il y
a beaucoup de grands arbres dans ce paysage magnifique, mais aussi une quantité
époustouflante d’arbustes et d’arbres fruitiers dont les parfums contribuent à
maintenir l’odorat dans l'exaltation des nouvelles senteurs rares offertes à la découverte.
Dans cette vaste forêt, il n’y a
pas que les rivières qui emplissent la nature de leurs grondements et bruits
moins audibles au lointain. Il y a également les nombreux chants d'oiseaux et
les sons surprenants de tous les animaux qui vivent sous l’ombrage des grands arbres,
en se nourrissant des graines et des fruits qui mûrissent en temps
choisis par la nature généreuse ici. Bien évidemment, le vent est agréable dans
ce milieu préservé des pollutions de tous types engendrées par l’action
agressive de la civilisation urbaine. Le
vent est agréable et surtout, l’air est pur à Akom Bikoé.
Les mots sont vains, quand les images peuvent permettre d’apprécier la beauté exquise de mon village paradisiaque.
La belle cathédrale d'Akono |
La route bitumée serpente dans la forêt |
Akom Bikoé: travaux avant bitumage en cours |
Akom Bikoé. quartier Nkouar Mbama |
Akom Bikoé: la pierre (Akom) symbole du village |
Akom Bikoé: paysage fleuri à profusion |
Akom Bikoé: le centre de santé |
Akom Bikoé: l'école primaire |
Akom Bikoé: le hangar du marché périodique |
Akom Bikoé: vieux système de séchage du cacao |
Akom Bikoé: Récolte du vin de palme |
Akom Bikoé: paysage fleuri |
Akom Bikoé: brume matinale sur le Mont Messol |
Akom Bikoé: les arbres de la forêt |
Akom Bikoé: brume matinale sur les collines |
Akom Bikoé: antenne de téléphoie mobile |
Akom Bikoé: récolte de vin de palme |
Akom Bikoé: l'école publique |
Akom Bikoé: l'école publique |
Akom Bikoé: drapeau dans la cour du chef |
Akom Bikoé: L'énergie est solaire dans le village |
Akom BIkoé: derniers tronçons de bitume en cours |
Akom Bikoé: travaux routiers |
Akom Bikoé: Fleuve Bikoé |
Akom Bikoué: fleuve Bikoué |
Akom Bikoué: fleuve Bikoué |
Akom Bikoué: prunier |
Akom Bikoué: dernières semaines de route en terre |
Akom Bikoué: travaux routiers en cours |
Akom Bikoué: pierres de construction de caniveaux |
vendredi 20 mai 2022
Lettre d'amour au Cameroun
Très cher Cameroun,
Je t'écris aujourd'hui, car je pense à toi comme je le fais tous les jours. Tôt chaque matin, le parfum de ta terre belle et diverse adoucit mon réveil de ses senteurs agréables.
Sais-tu que tu es un paradis de diversité culturelle, sociale, climatique, géographique, humaine, florale? Tu es le fruit d'une union séculaire entre les peuples de la forêt, ceux de la montagne, de la savane, des eaux douces ou de mer et du désert. Cette union fait de toi un concentré de beautés exquises qui font battre mon cœur chaque fois, en pensant à toi.
Je te surnomme affectueusement Afrique en Miniature comme toutes ces femmes et ces hommes qui t'aiment sincèrement et comptent sur toi pour vivre heureux, épanouis, en paix, en bonne santé et prospères.
Depuis ma naissance, tu as toujours été le pays des grandes pluies qui chantent sur les toits de paille, de tôle ondulée et tous les autres toits qui couvrent les chaumières de ta terre aux multiples couleurs du bord de la mer, de la savane, en pleine forêt et sur les montagnes. Tu es le pays du soleil qui sourit et brille sur l'étoile de ton drapeau tricolore aux couleurs des feuilles vertes, de la chaleur africaine jaune et du sang rouge de tes filles et fils travaillant pour que tu sois toujours plus beau, plus grand, plus accueillant et paisible.
Très cher Cameroun, de plus en plus, nous allons te dire "j'aime mon pays le Cameroun", car nous avons remarqué que l'amour est meilleur quand on le dit et quand on le vit tous les jours. Nous allons prêter plus d'attention à toi, car l'amour peut grandir tous les jours sans aucun problème; l'abondance d'amour ne nuit pas. Tu es le centre d'attention de toutes celles et tous ceux qui t'aiment, car tu irrigues le sang de leurs cœurs vers leurs esprits féconds, emplis de passion.
Afrique en Miniature, Nation aux grands défis présents et au magnifique futur; aujourd'hui est ton jour, le 20 Mai, le jour de notre fête nationale. Voici 50 ans que tu as choisi l'anneau de l'Unité dans la diversité. Alors cher beau pays qu'on aime, chère patrie, terre chérie, tu seras toujours debout, car toutes tes filles et fils du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest sont jaloux de ta liberté. Berceau de nos ancêtres, tu auras toujours notre amour, car tu fais notre bonheur. Sois élevé très haut dans l'honneur pour les siècles des siècles.
Serge Mbarga Owona
Mathématicien, écrivain, poète.
dimanche 8 mai 2022
Retour au pays natal.
Le 08 Mai 2008, un avion de la compagnie aérienne Air France a atterri à l’aéroport de Yaoundé Nsimalen. C’était il y a 14 ans et j’étais dans cet avion. Peu de personnes étaient au courant du périple que j’avais entrepris de façon décisive quelques mois plus tôt pour rentrer au Cameroun. Il faut dire que plusieurs années auparavant, fraichement muni d’un Diplôme d’Etudes Approfondies en physique mathématique de l’Université des Sciences et technologies de Lille en France, j’avais décidé de rentrer chez moi. « Tu viendras faire quoi ici ? » ; « il n’y a rien pour toi ici », furent quelques-unes des phrases sentencieuses qui me furent dites, tant en famille, que devant les portes closes que j’essayai d’ouvrir.
Au mois de février 2008 je fus contacté par une entreprise privée camerounaise, une multinationale de télécommunications. Pourquoi fus-je contacté ? Parce que mon CV était dans leur base de données et mon profil les avait intéressés. Pourquoi mon CV était-il dans leur base de données, parce que je l’y avais déposé, à la faveur de mes voyages au Cameroun pour promouvoir mes livres et mener des activités de vulgarisation technologique et culturelle ; notamment mon premier ouvrage paru en 2005 chez l’éditeur l’Harmattan à Paris: « Le jeu de Songo ».
Je fais ce rappel rétrospectif pour montrer qu’un retour au pays natal est un projet qui se bâtit sur la durée avec la volonté inébranlable de rentrer. En Février 2008, j’étais responsable multimédia travaillant à Lille et je reçus le coup de fil d’une dame, une jeune camerounaise qui m’informa que la Direction Marketing de sa multinationale souhaitait s’entretenir avec moi en vue d’un recrutement au Cameroun, dans leur nouvelle unité en charge du développement des produits et Services Internet. Je n’avais pas de problème d’emploi, ni un problème de subsistance quelconque. Je reçus cette information avec calme et enthousiasme. Puis, je n’eus plus de nouvelles pendant quelques semaines. Je me dis alors que quelqu’un d’autre avait peut-être été recruté. Je rappelai le numéro de contact qui m’avait été fourni et un Monsieur m’informa que des troubles sociaux survenus au Cameroun en février 2008 avaient entraîné la suspension des processus de recrutement des collaborateurs.
L’entretien téléphonique eut finalement lieu au mois de Mars 2008. J’avais à l’autre bout du fil trois jeunes camerounais rigoureux qui me parlèrent de leur besoin, de l’intérêt de mon profil pour les nouvelles orientations de l’entreprise liées au développement de l’Internet au Cameroun. Je fus très sérieux, mais détendu pendant cet échange qui dura plus d’une heure. J’avais un emploi confortable, stable en France, à Lille dans un environnement professionnel épanouissant et respectueux de la diversité ; je maîtrisais les enjeux du développement de l’Internet, car depuis la fin de mon parcours académique, j’avais travaillé à Paris dans des environnements de développement de logiciels informatique et de mise en place de services multimédia en relation avec les nouveaux besoins du réseau Internet.
J’avais déjà publié quelques livres, développé des projets personnels sur des logiciels de jeux divers (Dames, Ludo, Awalé, Songo, Chiffres et lettres…) avec des versions disponibles sur Internet ; je m’occupais d’un site Internet communautaire dans lequel je publiais des articles sur des enjeux d’innovation technologique en Afrique en rapport avec l’identité culturelle, je participais à des séminaires et des projets de vulgarisation scientifique et technologique au Cameroun, j’étais également actifs dans des radios locales à Lille avec des amis issus de pays divers et d’horizons intellectuels variés : juristes, philosophes, journalistes, mathématiciens, chimistes, ingénieurs etc. « Il faut rentrer au Cameroun, nous avons besoin de profils tels que le tien ». Tels furent en substance les mots du Directeur qui menait l’entretien. Je reçus un contrat quelques jours plus tard, je le signai et le renvoyai au Cameroun. Ainsi fut bouclé mon retour.
Je n’avais jamais vu, ni entendu parler des personnes avec lesquelles je scellais ainsi mon retour au pays. En discutant au téléphone, nous avions établi un lien de confiance bâti sur mon parcours, mes réalisations, ma volonté de rentrer, le besoin de l’entreprise, l’expertise des recruteurs dans la connaissance des profils qu’ils recherchaient. Je rencontrai mes trois interviewers une fois arrivé au Cameroun. Ils étaient en tous points conformes à l’impression qu’ils me firent au téléphone, deux hommes et une femme ; des leaders camerounais, africains optimistes convaincus.
Pourquoi va-t-on ailleurs ?
Les raisons du départ sont nombreuses et dépendent des rêves, des moyens, des problèmes, des espoirs, des besoins, des habitudes culturelles et des contraintes de chacun.
Pour certains jeunes ou moins jeunes camerounais, les rêves d’un meilleur accomplissement social ou professionnel ne se trouvent pas au Cameroun, mais ailleurs. Ils s’en vont donc pour réaliser leurs rêves quelle que soit la position sociale, les avantages et facilités dont ils bénéficient au Cameroun. Pour d’autres, le départ est l’opportunité de trouver les moyens d’une meilleure existence. Pour ceux-là, le pays n’offre aucune perspective de bonne existence. Il faut donc absolument partir pour aller tenter sa chance ailleurs. Ce départ est précédé d’une épargne suffisante pour tenir pendant le temps variable du parcours et celui où le risque commencera à devenir payant. Bien évidemment, l’échec est envisagé, mais on le met sur la balance avec un manque de perspectives rassurantes dans son pays de naissance.
Il y a des femmes et des hommes qui partent parce qu’ils ont des problèmes. Des problèmes d’emploi, des problèmes sociaux, politiques, des problèmes de santé. Le Cameroun n’ayant pas su répondre à leurs difficultés, ils regardent ailleurs afin de trouver des solutions plus intéressantes ou moins stressantes pour leurs vies. Ces départs sont contraints. Il est probable qu’une fois les difficultés qui ont conduit au départs résolues, le retour au pays natal est envisagé, puis concrétisé. L’ailleurs est parfois aussi le lieu où le voyageur va nourrir les espoirs d’un avenir meilleur. L’ailleurs devient le lieu d’où l’on reste accroché au chez soi, vivant là-bas, mais l’esprit enchaîné dans un quotidien situé ici, à des milliers de kilomètres. Un quotidien auquel on s’intéresse passionnément, malgré le temps qui indubitablement produit sur soi les effets de l’Homme déphasé ; la perte de contact avec la réalité fluctuante du pays des origines.
On s’en va également parce qu’on a des besoins : besoin de perfectionnement professionnel, de parachèvement d’une formation de haut niveau avec les meilleurs spécialistes mondiaux, besoin de découvrir des horizons académiques inexistants au Cameroun ou de qualité moindre ici ; besoin de refaire sa vie, ou tout simplement besoin de respirer un air différent sous des latitudes nouvelles. Alors, on s’en va afin que l’ailleurs comble ses besoins. Il y a aussi des peuples dont l’émigration est un trait culturel séculaire. Pour eux, partir est une habitude ancestrale. On part en restant attaché au chez-soi comme d’autres l’ont fait avant. Le départ n’est ni un drame, ni un exploit particulier. C’est une aventure quasi initiatique, une expérience qui se transmet depuis de nombreuses générations et qui est amenée à se poursuivre.
En 1993, tout juste bachelier (BAC C) dans le plus grand Lycée public du Cameroun, le Lycée General Leclerc de la capitale Yaoundé, je m’envolai pour Lille en France. Ce voyage avait été préparé à mon insu de longues années avant, par mes parents qui étaient fonctionnaires pour l’un et infirmière dans une société parapublique pour l’autre. Ils avaient donc dû beaucoup épargner, beaucoup se priver et priver la famille de ressources financières stockées dans une longue épargne. L’épargne de mes parents fut conséquente pour payer les frais très importants exigés pour que je puisse effectuer des études sérieuses dans un pays au niveau de vie plusieurs fois plus élevé que celui du Cameroun. Mon départ avait donc été décidé par mon père et ma mère afin selon eux que je puisse bénéficier d’un avenir meilleur. L’émigration ne figurait dans aucun de mes plans d’avenir. J’étais un adolescent épanoui dans la pleine jouissance de ses 18 ans à Yaoundé.
Ayant effectué un parcours scolaire rigoureux et sans aucune fausse note dans des écoles publiques au Cameroun, j’avais été éduqué tant au niveau scolaire que familial dans le culte de l’excellence et la certitude que le Cameroun offrait des opportunités d’éducation sérieuse et d’épanouissement appréciable quand on avait la détermination nécessaire et le talent suffisant.
J’étais certainement trop enthousiaste et embué dans la naïveté juvénile des esprits qui ont été biberonnés dans un socle familial de la classe moyenne, pas riche, mais possédant ce que mon père nomme toujours « le minimum vital ». Un environnement surtout honnête et protecteur. Pendant longtemps, nous avions vécu dans ce qu’on appelle une maison en terre battue recouverte de ciment. Il en était de même pour les maisons de mes copains d’enfance. Nous étions heureux dans nos vies simples, dans notre quartier populaire.
Le cadre familial modeste était un paradis de liberté, d’émulation intellectuelle et d’apprentissage de la vie avec une éthique de l’effort, de la connaissance profonde de sa culture et de l’amour de son pays. Deux ans avant mon départ, mes parents avaient achevé les travaux de leur nouvelle maison. Elle n’était plus en terre battue, c’était une villa bâtie en matériaux définitifs : parpaings de sable et de ciment, béton, tôle ondulée etc.
Mais les parents avaient décidé que je devais partir. Certains que c’était le meilleur choix pour moi, ils avaient préparé mon départ de longue date, malgré la liberté totale dont nous avions toujours bénéficié dans le choix de nos études. Il fallait juste être sérieux à l’école. D’ailleurs, un petit challenge avait été établi par notre mère, entre tous les enfants de la maison ; frères et sœurs, cousins. Il fallait avoir la meilleure note à chaque trimestre, quelle que fût sa classe. Si un petit cousin en CP avait 18 de moyenne et une grande sœur en terminale n’avait que 13, le premier lot revenait au cousin de CP. Chaque enfant voulait être lauréat du challenge. Il y eut ainsi une positive émulation pour les études dans notre maison.
Puisque je devais partir, alors je partis avec la patiente et irrésistible détermination de revenir un jour, car autant à la maison, à l’école ou dans mon quartier, la culture populaire nous avait martelé une propagande patriotique un peu bête, mais terriblement efficace : « vert rouge jaune, c’est la plus belle des couleurs ».
Pourquoi faut-il rentrer ?
Avec d’autres, nous sommes le fruit d’une éducation populaire camerounaise qui a fait du drapeau national notre premier emblème de fierté. Il y avait le drapeau tricolore étoilé à l’école, de la maternelle au lycée et les enseignants nous parlaient du Cameroun avec enthousiasme et passion. « Vous êtes la fine fleur », nous avait dit un enseignant de première C au Lycée, pour nous exalter à plus d’efforts. Adolescents, nous avions déjà pleinement conscience des œuvres des héros nationaux Martin Paul Samba, Douala Manga Bell, Um Nyobé, Mbappé Leppé, Roland Moumié…Nous étions camerounais et rien d’autre n’existait en dehors de notre pays exceptionnel, le Cameroun dont les exploits intellectuels, culturels et sportifs étaient célébrés chez nous et dans le monde entier. Le premier pays africain quart de finaliste d’une coupe du monde de football ; le pays de Roger Milla et de Manu Dibango. L’Afrique en Miniature.
Cette propagande patriotique avait contribué à construire chez certains comme moi et ceux de ma génération un état d’esprit de champions, sûrs de leur place dans leur pays, marchant tête haute et certains que l’ailleurs n’offrait pas forcément l’idéal de vie.
Je partis donc en Europe contraint et ce déchirement fut ancré en moi de longues années durant. Pourquoi doit-on partir alors qu’on a pratiquement tout pour bâtir le bonheur ici ? A 18 ans, je n’avais pas de réponse à cette question. D’ailleurs personne dans la famille n’aurait écouté ma réponse. Pour certains jeunes bacheliers, partir était la seule issue intéressante, viable. Celle qui donnait l’impression qu’on était sur la voie de la réussite. Pour moi et bien d’autres, nous étions d’ici, faits pour ici, nourris du ferment local. Partir c’était laisser dépérir une partie de soi. Je suis parti, mais je ne pouvais que revenir.
Dans le concert des nations comme on dit, il y a des pays très misérables, des pays pauvres, des pays à revenus moyens, des pays en voie d’émergence, des pays émergents, des pays développés, des pays très développés et des pays émirats. Le Cameroun n’est pas un pays pauvre. Pendant longtemps, nous fûmes un pays à revenus moyens. Depuis une dizaine d’années, nos récurrents problèmes de vol des biens publics, de corruption, de cupidité maladive, d’inadéquation des politiques publiques avec les exigences réelles de développement ont l’attention de la communauté nationale publique et privée, car il semble désormais évident aux yeux d’une majorité de leaders que nous n’avons pas le choix. Le pays est en danger. Il faut en être conscient et agir intelligemment.
Nous savons que nous ne vivons pas sur le dos d’une vache à lait ; le Cameroun n’a pas que des amis. Il faut construire sérieusement, sinon le chaos s’installera et il ne cessera de s’immiscer dans tous les pans de la société. Il n’y a pas de bâton magique lorsqu’on rentre dans la spirale infernale du chaos. Il y a les conflits, les assassinats, le développement de tous types de rapines, d’injustices et la multiplication des loups locaux ou étrangers aux crocs vifs, puissants et acérés, sans pitié qui profiteront de la décrépitude systémique chronique pour s’enrichir au détriment des enfants, des femmes, des jeunes et des vieux gens qui ne demandent qu’à vivre paisiblement une vie normale. Alors, il faut rentrer pour bâtir, chacun à son niveau.
Il est évident que tout le monde n’a pas le même niveau de résilience, de compétence, de détermination ou la volonté inébranlable de faire face coûte que coûte. Mais, chacun selon ses opportunités, ses possibilités, peut agir pour cette patrie qui est nôtre, le Cameroun. Notre Afrique en Miniature. Il faut rentrer bâtir, car nous sommes convaincus que le paradis s’il existe n’est pas ailleurs, mais ici. Il ne faut pas être naïf et penser qu’il est facile de s’établir ici. Les problèmes structurels, administratifs sont nombreux, les tares au niveau de certaines mentalités sont toujours très préoccupantes avec notamment cette vicieuse corruption endémique à toutes les échelles de la société, le népotisme, le clientélisme, l’affairisme, l’irrespect en milieu public ou professionnel, les harcèlements insidieux, le tribalisme idiot, l’intolérance violente, pernicieuse qui empêche la libération de toutes les énergies positives volontaires.
Mais il faut lutter. Nos pays sont régis par des espèces de logiques d’attraction Gravitationnelle Universelle connues des physiciens. Il faut une poussée initiale forte de la fusée du développement pour se retrouver hors des misères endémiques symbolisées par l’attraction terrestre, vers le bas. Cette poussée doit être puissamment alimentée par toutes les bonnes volontés conscientes, les compétences visibles et invisibles qui agissent pour qu’ici aussi, chacun puisse vivre normalement. Se soigner normalement, éduquer ses enfants normalement, trouver un emploi ou créer son business normalement, aller au stade, au cinéma ou au musée normalement, voyager normalement dans son village ou ailleurs dans tout le pays, gagner son argent normalement, se marier et fonder une famille normalement, vieillir normalement…
La normalité pérenne et structurelle exige des efforts intelligents, constants, consistants, cohérents ; beaucoup d’efforts ; mais le premier consiste pour celles et ceux qui sont ailleurs comme je le fus pendant 15 ans, à rentrer au pays. Il faut rentrer si on le peut. Le retour nécessite de préparer, de connaître le chemin. Il faut parfois le tracer soi-même quand il n’existe pas. Il faut s’informer, questionner, observer. Puis il faut prendre le bon chemin pour alimenter la fusée qui mettra le pays tout entier hors de portée des pesanteurs qui le font chuter et péricliter avec des conséquences néfastes sur l’éducation, la santé, la prospérité, la sécurité de tous et de chacun…
Quand on a été ailleurs, on a au minimum un double regard pertinent et conséquent sur les choses. Ce n’est jamais un inconvénient.
Serge Mbarga Owona
Mathématicien, écrivain, poète.