jeudi 14 février 2013

La république des chiots.



Nous n’allons pas faire semblant, car il ne s’agit pas de roman; mais bien de la réalité vécue au lieu-dit rond-point Déido le mercredi 13 févriers à 18h30.

Nous n’allons pas inventer de noms, car il ne s’agit pas de fiction où l’imagination est en action; mais bien de la triste vérité avec des personnages rocambolesques; peu recommandables et particulièrement condamnables.

Parce que ceux qui sont encore en capacité de s’indigner et de dire non, tous ceux qui ont les moyens intellectuels de décrire l’horreur de l’inadmissible dans ce pays ; le Cameroun ; doivent tenir fermement la plume de la dénonciation et la tremper avec conviction dans le vrai, le juste, le bien.

Nous n’allons pas jouer les poltrons, les comiques ou les saintes nitouches, car ce qui est en jeu est trop important pour être galvaudé sur l’autel de la peur, de l’humour ou de l’hypocrisie de la fausse retenue. Il s’agit de valeurs, en d’autres termes de la frontière qu’il y a à préserver entre l’Homme et la bête de somme ou celle de Sodome.

Parce que l’image parle et que celle qui figure sur cet écrit traduit l’instantané de l’opération malsaine de deux gendarmes de la brigade de Mboppi à Douala, en train d’accomplir leur funeste forfait ; le dégonflage des roues de mon véhicule pour le plaisir de violer la tranquillité des paisibles citoyens, nous allons l’afficher pour mettre une fois pour toutes un visage sur l’haleine putride de l’intolérable dans notre pays.

Après une journée de labeur bien remplie, rehaussée de faits amusants comme bien souvent à Douala ; retournant vers ma cabane en très exquise compagnie ; de celles qui donnent envie d’écouter Johnny Hallyday chanter « les portes du pénitencier vont bientôt se refermer » en sifflotant dans son véhicule incandescent ; je prends le chemin du retour, vers ma chaumière. Je me suis alors promis de savourer une bière fraiche et légère en relisant les aventures congolaises de Jean Bofane, avant le juste sommeil. Il est 18h15.

A 18h35 ; après m’être faufilé tant bien que mal dans ces bouchons qui nous pourrissent la vie entre le lieu-dit rond-point du 4e et le rond-point Déido ; je conduis ma passagère exquise à un endroit sûr, celui qui lui permettrait de trouver un taxi qui la conduirait chez elle; il faut avouer que le soir, donner le qualificatif d’endroit sûr à une rue de Douala tient plutôt du pari très risqué. Mais, je me dis qu’avec un peu de chance, ce petit espace vide aménagé en bordure de la route, devant cette station d’essence de la compagnie MRS est un endroit sûr. Un havre temporaire exempt de tout badaud malintentionné ou d’un quelconque attroupement de malabars oisifs en ce début de soirée. 

Endroit sûr signifiera donc que j’éviterai à la dame le vol de son téléphone portable ou une agression verbale gratuite ce soir ; mais je ne saurai dire avec certitude ce qui adviendrait d’elle dans le taxi qui la conduirait dans son quartier là-bas à Bonamoussadi. C’est connu en effet qu’à Douala, les brigands ont érigé les taxis en terrain d’excellence de l’agression violente.
Quant à moi, ayant vérifié que je me trouvais à un endroit où je ne gênais pas la circulation et n’enfreignait aucune règle de conduite ; j’allume mon clignotant droit et je m’arrête quelques secondes en bordure de route, devant la station d’essence de la compagnie MRS; le temps de permettre à mon amie de sortir en toute sécurité du véhicule, de refermer la portière et de s’en aller bien plus haut, trouver un taxi. L’arrêt de mon véhicule, l’ouverture de la portière, la sortie de la dame et la fermeture de la portière auront duré…4 secondes….

Je n’avais pas alors imaginé qu’en embuscade, non loin de là, camouflé dans la rue à 18h40; un gendarme béret rouge négligemment vissé sur le ciboulot  rognait son frein, impatient de sauter sur une proie ; prêt à rugir.  Le pickpocket ou le brigand n’étaient pas dans son objectif, mais bien le citoyen paisible, pour des raisons de racket connues. Les  transporteurs routiers habitués des exactions et abus de cette petite légion honteuse de la brigade de gendarmerie du quartier de Mboppi à Douala me l’avoueront ensuite, « la gendarmerie de Mboppi saute sur le rond-point Déido tous les jours » ; la haute expertise en escroquerie et en corruption de certains de ses éléments est scandaleuse et quotidienne. « Vous êtes en infraction ; l’arrêt est interdit ici» qu’il m’affirme, le plus jeune des gendarmes, un sourire féroce lui déformant les mandibules tel un cabot fier de sentir l’odeur forte de son nouveau pipi sur le trottoir.

Fermement opposé à l’idée de servir de repas du soir à un quelconque prédateur en cette fin de journée et ne songeant qu’à rentrer me reposer chez moi ; je demande à comprendre et tente une explication rationnelle devant l’animal déchaîné. Il appelle alors son adjudant de chef jusqu’alors affalé dans la buvette aménagée dans la station d’essence et buvant une bière pendant son service en méditant dans son ébriété manifeste  sur les forfaits du jour et ceux encore à venir en cette fin de journée chaotique à Douala.

« S’il vous plaît, ne dérangez pas les citoyens paisibles ; occupez-vous des voleurs, ceux qui pillent le pays, qui nous empêchent d’avoir des hôpitaux, d’inscrire nos enfant à l’école ou de vivre décemment » lui dis-je. « Je m’appelle Adjudant Meli  et je n’ai peur de personne» qu’il m’affirme en désignant vaguement un insigne collé sur sa tenue. Du fait de son état alcoolique avancé, de son peu d’instruction sans doute et de l’émotion suscitée par ma réaction inattendue ; Il débite alors une sarabande incontrôlée et incompréhensible  sur des ordres du chef de l’état du Cameroun, ceux du gouvernorat du littoral, de la préfecture de police et de la communauté urbaine de Douala qu’il doit appliquer avec sévérité sur le rond-point Déido.

Présentez-vous qu’il m’intime l’adjudant de gendarmerie. « Je suis serge Mbarga Owona ; en tout cas c’est le nom que je porte”, lui répondis-je. Ayant pris ma réponse pour une insoumission à ses ordres théâtraux, il ordonne à son subordonné de dégonfler toutes les roues de mon véhicule ; ce dernier s’exécute avec application et méthode ; dégonflant l’une après l’autre trois roues de ma voiture pendant que je fais montre d’un calme qui me surprend encore…

Trois roues de mon véhicule complètement à plat ; un attroupement se forme bientôt autour de moi et de mes bourreaux du soir. Chacun y va alors de son commentaire sur le zèle quotidien du très célèbre adjudant Meli, connu dans le coin pour ses actes d’intimidation et de corruption batifolant toujours avec la dizaine de milliers de francs CFA par jour. D’autres gendarmes arrivent bientôt sur place et je suis rapidement encerclé, accusé de semer le trouble sur le carrefour et d’en appeler à la rébellion des badauds...

Le deuxième acte de cette mésaventure se jouera avec la disparition subite des gendarmes et la remise de mon dossier entre les mains d’un officier de police en charge de la circulation routière sur le rond-point Déido. Après deux heures de palabres, d’observations réciproques silencieuses et de patience passées entre le commissariat de fortune construit en bordure du rond-point et le bord de la route ; la sentence de l’agent du maintien de l’ordre tombera dans le creux de mon oreille ; ce sera dix mille franc dans les poches de l’officier de police en charge de la circulation routière. Dix mille francs à payer pour une infraction imaginaire stupéfiante ayant entraîné deux heures de temps perdu, le dégonflage de trois pneus de mon véhicule et l’encastrement du quatrième dans un sabot de la communauté urbaine.

Dans une espèce d’antichambre construite dans le minuscule local policier du rond-point Deido, je remis le prix du déshonneur à l’officier de police. Mais avant cet échange avilissant, honteux et furtif entre le dossier de mon véhicule et le billet de dix mille Francs CFA, le vieil officier de police ayant constaté ma lassitude et mon inclination à lui remettre la somme convenue ; il se sera dépêché de me conseiller de faire réparer rapidement mes pneus avant l’habituelle coupure de courant du soir. Il aura ensuite grimpé tel un chiot en rut sur une moto-taxi pour aller selon ses termes « récupérer les clés du sabot au commissariat de police ».

La carence de valeurs et la corruption demeurent l’alpha et l’oméga dans notre république des chiots.

Manekang.

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