dimanche 24 mars 2013

« Le Président »; pourquoi j’aime ce film que je n’ai pas encore vu?


  A une époque déjà lointaine, la reine de beauté Mona Lisa était alors une jolie princesse fon du Dahomey, je participai avec le duo savant et loquace de l’association Le Vaste Songe à un salon multiculturel dans la ville lumineuse, Paris. Divers exposés étaient présentés lors de ce forum, dont une conférence débat sur le rite de la dot au Cameroun. 

Dans l’ambiance sympathique d’une maison de la Culture française, le beau monde créatif de la diaspora africaine se retrouva gaiement, déambulant entre les stands des artistes musiciens, ceux des écrivains, des conteurs, des danseurs, des créateurs locaux franciliens. Les stylistes et toute leur élégance racée n’étaient pas en reste dans ce salon fraternel dévoué à l’affirmation et à la célébration des aspects intellectuels des civilisations africaines en France.

Quel ne fut pas mon étonnement lorsqu’avec une évidence préoccupante, l’invité du comité d’organisation, représentant le ministère de la culture du Cameroun introduisit son exposé sur la dot en citant le dictionnaire Larousse…Nous savions déjà que le bateau culturel camerounais prenait de l’eau de toutes parts ; mais là, nous assistâmes en direct au sabordage du paquebot illustre des ténors de la finesse culturelle camerounaise représenté par Thérèse Sita Bella, Manu Dibango, Mongo Beti, Ferdinand Oyono, Guillaume OYONO Mbia, Dikonguè Pipa, Eboa Lotin, Daniel Kamwa, Ottou Marcellin, Richard Bona, Samy Mafani, Ali Baba, Dave K Moctoï, Pierre Didi Tchakounté, Oncle Otsama, Jean Miché Kankan, Zanzibar Epémé, Essindi Mindja… 

Quelle idée de citer Le Larousse quand il suffit de prendre exemple sur les multiples cérémonies de dot auxquelles il nous est donné d’assister pour en tirer une définition générale, même imparfaite « La dot est un rite coutumier amical de rencontre entre la famille du prétendant et celle de sa promise au cours duquel  les deux familles apprennent à se connaître dans le jeu des joutes orales et de la théâtralité des requêtes à satisfaire, à détourner ou à contourner… ». Pour définir la dot donc, nul besoin de citer Le Larousse, car cet événement, nous le célébrons ou nous le subissons depuis des temps immémoriaux. 

De la même façon, pour évoquer le cinéma camerounais et surtout l’impatient désir de regarder le film « Le président » du réalisateur Jean-Pierre Bekolo Obama, nous n’aurons nullement besoin de définir ce qu’est le cinéma ni ce qu’est un président ou un réalisateur d’ailleurs. Nous n’utiliserons ni le Larousse, ni Le Petit Robert. Trois mots seuls nous permettront d’expliquer pourquoi ce film plaît déjà dans le contexte précaire du Cameroun pris dans l’étau des thuriféraires libéraux communautaires. Trois mots seulement expliqueront notre engouement pour la nouvelle œuvre artistique de Jean-Pierre Bekolo : La constance, le courage et l’esthétique du réalisateur.

Depuis son premier long métrage « Quartier Mozart », que nous vîmes au Palais des Congrès de Yaoundé en 1992, la marque du professionnel s’imprime dans chaque œuvre du réalisateur Jean-Pierre Bekolo. Professionnalisme dans le choix des acteurs ; Jimmy Biyong dans « Quartier Mozart » ; Abessolo Mbo et Joséphine Ndagnou dans  «L es Saignantes » ; Gérard Essomba dans « Le président » ; professionnalisme dans l’écriture des dialogues et dans le rythme soutenu de l’œuvre cinématographique. 

Bekolo Obama raconte une histoire qui maintient le spectateur en éveil, qui l’interpelle en s’inspirant de son environnement pour le dépasser grâce aux facilités et envolées de l’imagination. Une histoire qui nourrit les préoccupations du cinéphile en lui apportant un silo de réponses en une seule séance de diffusion cinématographique. Il s’agit de combler l’envie de divertissement et d’amener à comprendre en distrayant. Il y a donc constance dans le professionnalisme, constance dans l’engagement à traiter des sujets importants sans crainte des controverses éventuelles, intrépidité face au courroux de tous les censeurs, dépositaires des pratiques et des illusions éculées d’une époque insipide révolue.

Si dans son premier long métrage « Quartier Mozart » les thèmes de la transsexualité et du machisme sont évoqués dans l’environnement précaire d’une banlieue populaire du Cameroun,  dans son troisième film « Les saignantes », le favoritisme et la corruption entraînent une rencontre dramatique entre un directeur du cabinet civil de la présidence dépositaire du bien public et des entrepreneuses mi-putes mi-maîtresses désireuses de remporter des marchés publics en proposant leurs corps en offrande. Une lugubre chambre surnommée commission nationale de la censure et logée au ministère de la culture proposa de retirer certaines scènes du film jugées « contre le régime et pornographique ». L’art ayant pour objet la valorisation du beau ; il est clair que si un régime n’est pas beau ; il sera plus souvent anti-art. 

Dans l’environnement très insuffisamment logique du Cameroun, la règle d’or étant à l’attentisme et à la prudence; le courage de dire ce qu’on pense ou de montrer ce qu’on voit apparaît alors comme une entreprise risquée à laquelle le plus malin et le moins jacobin s’abstient prestement afin d’éviter tant bien que mal les écueils qui surgiraient subrepticement à chaque détour de rue. Le courage devient alors la valeur de ceux qui imaginent la possibilité d’une réalité autre, plus positive et profitable au plus grand nombre… « Quand on veut vous réduire, on vous réduit à la réalité, alors que c’est l’imaginaire qui fait la force. » affirme le réalisateur Jean-Pierre Bekolo dans le quotidien camerounais Mutations. Son dernier long métrage intitulé « Le président ; comment sait-on qu’il est temps de partir » poursuit dans cette lancée de valorisation de l’imaginaire pour la victoire de l’esthétique.

En 1960, Henri Verneuil cinéaste français ayant fui la Turquie dans sa tendre enfance réalisa « Le Président ». Il y évoquait alors une réalité française de la quatrième république marquée surtout par l’instabilité politique et des gouvernements aux durées de vie étranges ; tel ce gouvernement de Christian Pineau qui dura en tout et pour tout…Un jour ! Dans son film, Henri Verneuil traitait d’une réalité française avec un point de vue d’artiste avant tout, mais d’artiste français surtout. Jean-Pierre Bekolo, sans être adepte connu de l’école Verneuil choisi d’évoquer des problèmes du Cameroun avec un point de vue camerounais, une vision artistique camerounaise. Cela donne aujourd’hui son film « Le Président ». 

Ayant vu le teasing de ce long métrage il y a quelques mois sur Internet, je fus séduit et conquis par le discours de l’actrice qui joue le rôle de la présidente ; Hildegarde Banaken. La présidente parlait le langage de la vérité aux camerounais ; elle parlait camerounais aux camerounais ; elle traçait des lignes d’espoir avec ses beaux yeux radieux et souriants. J’aime le discours de la présidente ; j’aime la présidente ; j’aime cette œuvre artistique dont la fiction nourrit l’espoir en projetant un imaginaire puissant ; puisant aux sources de nos forces multiculturelles et nous élevant vers une renaissance dans cette féminité belle ; vraie ; puissante ; sereine et rassurante.

Man Ekang.

Quelques réalisateurs camerounais et leurs œuvres :
- Bassek Ba Kobhio : Sango malo (1991), Le grand blanc de Lambaréné (1995) ; le silence de la forêt (2003)
- Daniel Kamwa : Boubou Cravate(1972), Pousse Pousse (1975), Danse automate danse (1980), Le cercle des pouvoir (1997), Mah Saah-Sah (2009)
- Dikonguè Pipa : Le prix de la liberté (1978) ; Canon Kpa Kum (1981) ; histoires drôles, drôles de gens (1982)
- Jean-Pierre Bekolo Obama ; Quartier Mozart (1992), Le complot d’Aristote (1996), Les saignantes 2005
- Josephine Ndagnou : Paris à tout prix (Joséphine Ndagnou)