mercredi 9 mai 2012

Les Grands Moments.


« […] Souvenez-vous de l’instant précis où le dérapage majeur a eu lieu afin que vous puissiez exorciser les vieux fantômes et prévenir une rechute. »[1]

 Il était heureux ce matin, il marchait en souriant, son attention déployée à contempler les indices affichant à présent son bonheur tant ignoré autrefois. Sur un pétale d’hibiscus étrangement ambré, il déroulait quelques séquences du film de son enfance. Là haut, assis sur une étoile sereine, il disparaissait progressivement, l’esprit et le corps éclipsés par le néant éternel. Son âme suspendue au filin d’une interrogation capitale déjà : où est-il à cet instant où un autre, qui n’est même pas son frère, exhale sa fantaisie ? Le regard espiègle, il défiait puis vainquait l’obsession naissante : il n’est pas ailleurs, il n’est pas ; chaque point hérissé de la spirale du temps vit égoïstement son heure de gloire.

Encore un matin tranquille, le chant du coq soufflant sur le soleil levant, la boule de feu épand ses flammes sur les manguiers parés de fruits juteux. Et le grand muezzin, muet sur sa lune perché, siffle allégrement des commandements sorciers aux esprits florissants, couvés d’idées neuves d’amitiés fraternelles. A l’orée du bois sacré, le légionnaire chasseur de rat hume les parfums ruisselant entre les écorces anciennes. Précédés par la démarche nonchalante d’un cabot chétif, les bras puissants du rustre chevalier portent des sortilèges annonciateurs de sels exquis. Genoux à terre, le nez fouinant dans l’humus réchauffé, le couple prédateur d’onguents vrais tourne le dos aux ombres stériles.

Je ne peux croire à la discrétion de cet horloger, et pourtant elle roule, ma bile dévoreuse d’aspérités inconfortables. Aujourd’hui est jour de sabbat, les rameaux épineux iront boire à la mer, seuls les Néréides et les fils d’Icare  en réchapperont. Le fils de l’Homme, trahi par sa mère, ira les pieds en sang s’engouffrer d’oubli. Un jour qu’il nomma le quatrième, il s’assit à la droite d’une bouture solaire. Un petit bout de noblesse étoilée qu’il s’empressa de délacer, noyé par la certitude d’un sourire éphémère. Les fils perlés de cet instant précieux, auréolé de baisers bleus s’enroulent encore autour de ses jambes défaites.

 Sur cette grande avenue déserte en cette heure tardive, le ballet de la luciole solitaire a entraîné ses plus belles acclamations, debout, l’œil réjoui par la maestria du petit insecte insignifiant  dans le tumulte des journées burlesques. D’une joie non contenue, il s’est avancé vers l’artiste tranquille, l’oreille gourmande des notes glissant sur les douces vagues du vent nocturne. L’intensité inouïe de l’instant s’est éprise de son âme légère, emportée par l’explosion de son corps supplicié. Son sérum, abandonné en gouttes éparses sur l’asphalte tiède, a épousé les larmes de la mariée, fulminant son impuissance devant le deuil d’une nuit pour la vie, ses noces ultimes.

 « Que peut vous importer une longue vie ! Quel guerrier veut qu’on l’épargne ? »[2]


Manekang

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[1]  Eugène Ebodé, Le Fouettateur.
[2] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.

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