lundi 13 avril 2020

Abandons coupables, i love you

Les lumières d’Obala, Londres, Doha, Douala ou Paris brillent d’un même éclat pour certains yeux grands ouverts. L’éclat des plaisirs de l’instant, assouvis sans vergogne à la conquête de l’oubli. Un seul impératif : la position de l’individu dans les couloirs exigus du bavardage. La course est folle, rude, superbement inutile et fait fi du devoir de partage, de l’exigence d’un mieux être collectif. Une compilation ingrate de paramètres insignifiants rythme un quotidien volage. Un dîner aux chandelles, une fiancée virtuelle, un virement mensuel, un déhanchement consensuel. L’épanouissement personnel, l’enrichissement individuel ne sauraient souffrir l’insolence d’une brique à poser sur l’interminable piste  du développement.

Une seule vie à griller entre deux averses, le puits profond des rêves inconséquents ne devrait l’éteindre. Un meilleur quotidien pour les humbles, les sans-diplômes, les impotents de la relation haut perchée, palabre de basse finance. On est déjà assez miraculeusement intelligent, exceptionnellement travailleur. Noyer ses opportunités d’élection dans le monde, les pertes de temps infantiles sur des jeux perdants seront vite balayées. Peu nombreux sont ceux qui comptent, il est urgent de s’en approcher un bout, l’horizon est vite englouti par tous les assoiffés de la honte.  

La gymnastique n’est que cérébrale, donc accessible. Les frontières n’existent plus, les lois sont les mêmes pour tous. L’organisation économique et sociale est guidée par des exigences scientifiques avérées. Il suffit de comprendre, de s’adapter, de contourner ou de décamper. Les esprits virevoltants embrassent tous les courants, de vrais cerfs-volants.

Le gouvernement multinational, impartial et d’une froide application, est reconnaissant de mon adaptabilité, de ma haute efficacité, de ma mobilité polyvalente. Les seules lois recevables sont les pages de mon précieux sésame paraphé de mes initiales. Aucun sacrifice n’est excessif, tous les flétrissements confortant mon carnet de chèques sont de bon aloi. La ristourne à flamber bruyamment sur les velours engraissés de la discothèque à la mode, le dernier costume chic des couturiers italiens, une carte de visite propice à tous les ridicules superbes. Le lumineux éclat de cette mégapole, un paradis sur terre. Au sommet de chaque tour, un mandarin mobilisé à la sauvegarde prospère de sa cité. Et le magnifique s’engonce dans une mission taillée sur mesure. L’amuseur compétitif roule, brûle, écume, puis s’évanouit.

Interrogation, dénonciation et riposte ignorent les ombrages inconsistants de la sensiblerie affectueuse. Il s’agit d’œuvrer à l’excellence d’une esthétique de l’audace créatrice de mieux-être. Le fier étalage de l’illustre inutilité, le souci de la représentation à toutes les strates exotiques menant aux cimes précaires est source de questionnement. Quelles représentations pour quels intérêts défendus? Une preuve à peine nécessaire qu’une cervelle en vaudrait peut-être une autre, la culture en moins.

Entre deux discussions sur la réorganisation d’une filiale congolaise, la recette d’un bon plat de ndolè en introduction à l’exotisme du partage des différences. Des décideurs incompétents dans une république fruitière pour preuve d’une singulière réussite. Quand de la médiocrité d’une mafia tentaculaire jaillissent des esprits espiègles, les novateurs de l’esquive. Un vrai désastre. 

 Et Dieu remercié, aucun besoin jamais ressenti d’une bande d’incapables. Une vision toute villageoise des réalités économiques, un sceptre de bois posé sur un monde enflammé. Aucune chance d’en réchapper.
Le rire pour vertu contre les aberrations quotidiennes. Les technologies à l’évolution desquelles je contribue et dont la maîtrise essentielle du clic ne m’est indifférente m’abreuvent de nouvelles croustillantes. Transporté dans les rues étroites et insalubres, les palais fantasques d’un mouvement d’index surexcité. Des femmes accouchant dans la douleur et mourant dans l’indifférence, des enfants formés par milliers à l’obscène école de la rue. Une espérance de vie plombée à cinquante-cinq ans. De simples manifestations d’un monde cruel, aucune raison de cracher sur sa chance. La bénédiction du tout-puissant célébrée, une haute intelligence méritée, une persévérance et des compétences affirmées. Toujours, l’enfer brûlera à mille lieues de ma cheminée. 

Je vous comprends, chers souffreteux, nous vibrons d’ailleurs tous pour de nouveaux exploits des Lions indomptables, et ce n’est pas rien. Votre misère, c’est la méconnaissance du mot effort. Apprenez à vous ouvrir aux réalités du monde, suivez nos modèles d’indépendance, ils ne sont pas inaccessibles. Choisissez bien votre voie, je vous conseille fortement la nôtre, celle des nouveaux citoyens du monde. Le temps passé en hésitations ne sera jamais rattrapé. La survie individuelle est tout. Reniez, puis oubliez la morbide nation. Elle ne vous offre qu’une vie minable au milieu d’individus à la morale douteuse, plombés par une dalle de difficultés insolubles. 

Mon papa, le colonel de la 10ème compagnie du 1er bataillon du génie de leur armée est très fier. Son digne représentant, dans mon bureau de verre se porte bien. Il n’a jamais oublié les brimades de son professeur de philosophie au lycée national. Et je rigole bruyamment de satisfaction, lorsque Charles Lancaster, mon collègue, requiert mon avis autorisé sur le nouvel algorithme d’optimisation des Process. C’est qu’il a souvent l’esprit si peu agile, le cher ami Lan, mais c’est un bon copain, il a toujours la bonne blague pour détendre l’atmosphère au restaurant d’entreprise. Et surtout, ses connaissances en mandarin sont indispensables. Le sous-traitant chinois est dur en affaire.

Il était déjà mal parti ce pays, à l’époque où papa offrit une nationalité internationale à mes frères et moi. Un visionnaire le vieux. Idéaliste aussi. Une fois son diplôme obtenu à l’école de guerre il plia bagage. Notre avenir était tout tracé. Précis tel une carte d’état-major. Pauvre pays maudit, l’agonie est interminable. Qu’il crève pour de bon. Dieu merci, mon intelligence est une arme imparable. Je suis à la hauteur de tous les défis du monde.  De toute façon, il faudrait tout brûler sur place, une guerre sauvage. Et de toute façon les plus résistants survivront, une véritable sélection par les armes. Puis, de toute façon la phase de reconstruction pourra s’ébranler. Créer des routes, des ponts, redessiner les villes. Il faudrait construire quelques grands centres commerciaux. Le divertissement et le gavage des miséreux est indispensable à l’évolution des mentalités. De toute façon les métiers artistiques sont à encourager. Il me tarde de voir plus de Camerounais jouant les premiers rôles dans les grands films hollywoodiens. J’ai le contact facile, si un frère perçait dans le secteur, peut être pourrais-je figurer quelques instants, sur une grande production de Los Angeles.

Mon esprit est comblé de sérénité, je ne vous dois rien. Ne tuez pas le seul coq vaillant par de mesquines jalousies. Le travail seul conduit à la réussite. La nouvelle frontière délimitant le pays de naissance de mes parents est magnifique. Elle n’est pas tout à fait homogène, mais elle est naturelle. Délimitée par la couche d’ozone, je suis partout chez moi. Si le feu prenait ici, j’aurai peu de regrets, mon territoire est immense.

Rationaliser le travail, gérer un emploi du temps, s’investir avec efficacité. Les sentiments sont à laisser dans le lit de la coquette ou l’amant d’un soir. Le bureau n’est pas un second domicile. Ils devront apprendre à ne plus y recevoir toute la basse-cour citadine ou villageoise. Le travail s’accommode mal de ce type d’attitudes contre-productives.

Malgré toute ma bonne volonté, ma grande ingéniosité, mes compétences prouvées à Détroit, Hong Kong et quelques passages à Douala, je ne peux grand-chose pour vous. Ce serait pur suicide financier de collaborer avec une bande de fainéants, incapables d’être sérieux quelques instants. Et puis, j’ai pris trop d’avance, le monde évolue vite, les nouvelles techniques sont à milles lieues des habitudes préhistoriques d’ici. Je sais, vous diriez : « Qui peut le plus peut le moins ». Mais croyez moi, c’est pas ma faute, je suis juste en phase avec les exigences de mon époque. La phrase : « Tant pis pour les canards boiteux » n’est pas une création de mon bel esprit. Débrouillez-vous sans moi, je vous aime.


Serge Mbarga Owona.
Texte publié dans l'essai: "Quel Cameroun pour nos enfants?"

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