Il fait beau ce mardi matin dans le quartier administratif de la capitale économique du Cameroun. Il fait beau à Bonanjo. Le soleil est haut dans le ciel bleu. Il ne fait pas encore trop chaud en ce mois d’août de la saison tropicale pluvieuse.
Quelle heure est-il ? Environ midi. Au bord de la route tapissée d'un goudron propre et noir foncé, des travailleurs viennent s'alimenter. Manger un morceau de pain rempli de morceaux de viande de bœuf mouillé de sauce pimentée ; déguster une délicieuse salade de fruit, ou un plat lourd de légumes succulents accompagnés de riz ou de manioc.
Dans un bureau de l'administration publique, une dame qui n'a pas encore pris sa pause mange un sandwich derrière un comptoir où des usagers viennent demander des renseignements ou effectuer des paiements divers. D'autres comptoirs sont vides dans ce grand espace où on entend le ronronnement rafraîchissant de la climatisation. Partout dans ce bureau propret, des tas de papiers et de dossiers sont éparpillés sur des armoires ouvertes, des tables encombrées et le sol carrelé où aucune trace de poussière n’est visible.
Trois usagers sont debout derrière un comptoir, attendant on ne sait qui, ou quoi. Ils sont patients et ne disent pas un mot. Ils sont concentrés à regarder les écrans de leurs smartphones sur lesquels doivent défiler des vidéos ou quelques faits divers hilarants.
Après quelques minutes d'attente, arrive un Monsieur, vieux quadragénaire qui rapidement s'adresse à un agent de l'Etat bourru, assis derrière un ordinateur et remplissant au stylo ce qu'il semble être des formulaires.
Le nouveau venu entre avec grande vivacité dans le bureau, puis il se place devant le comptoir en bois muni d’un verre transparent dans lequel une ouverture permet de communiquer. Il tient en main une liasse de documents qui semblent être des formulaires. Il s'adresse bruyamment à l'employé assis au fond du bureau dans un ton où se mêlent du désabusement, l'impatience et la volonté de conclure rapidement ce qu’il semble être une affaire d’importance.
- Il ne répond pas au téléphone!
Dit l'usager en s'adressant à l'employé assis au fond du bureau.
- Comment ça il ne répond pas?
- Tu as appelé combien de fois?
- Il faut en finir avec ça. Je n'ai plus le temps. Dit l'usager.
Cet échange est tenu pendant quelques secondes entre les deux protagonistes, l'usager du service public s'avançant rapidement vers le comptoir en fixant du regard l'agent de l'Etat. Arrivé devant le comptoir, le vieux quadragénaire sort une petite liasse de billets de banques qui sont aperçus par toutes personnes présentes dans le bureau et notamment l'employé lourdaud du fond de la salle.
En quelques secondes, les deux Messieurs se font face debout, séparés par le comptoir vitré, puis sans un mot dire, la petite liasse de billets change instantanément de propriétaire. Cet échange rapide n'échappe à personne dans le bureau. Personne n'en dit mot, puis l'agent du service public empoche la liasse de documents en main et retourne s'asseoir derrière son ordinateur, l'argent en poche.
Avec un petit sourire en bouche, le corrupteur déclara alors au corrompu :
- Il faut accélérer les choses, car beaucoup d'argent est en jeu.
L'employé du service public, sans changer sa mine patibulaire absente, lui répond simplement sans changer le ton monocorde de sa voix de quinquagénaire qui en a déjà vu d’autres:
- Je ne te garantis rien.
Le constat flagrant de cet acte de corruption entre deux citoyens majeurs et conscients étant fait, que faut-il en penser ? Y a-t-il quelque chose qui en puisse être pensé ? La question du comment est la plus simple à laquelle je puis répondre. Comment en arrive-t-on là?
Le corrupteur a banalisé un acte anormal qui a répondu à son besoin de voir une demande administrative connaître une évolution rapide et positive. Il a trouvé un interlocuteur qui lui a d’emblée semblé capable de répondre à son besoin en résolvant son problème. J'en conclus qu'il y a un problème fondamental de difficultés administratives entraînant la multiplication de ces actes illégaux qui brouillent les pistes permettant de répondre aisément et normalement aux besoins des citoyens dans leurs interactions avec le service public.
Comment résoudre ce problème grave? A mon avis, la transparence doit prévaloir dans la diffusion des procédures administratives. Il faut donc qu'elles soient toutes écrites d’abord. Qu’elles fussent donc écrites déjà, et que les usagers sachent où ils peuvent les consulter pour mieux en faire un usage utile. La digitalisation de ces procédures est l'étape supplémentaire. Digitaliser pour permettre aux usagers d'effectuer leurs démarches à distance, sans qu’ils doivent se déplacer. Ils gagneraient ainsi leur temps précieux et leur argent durement gagné.
Digitaliser, mais en offrant tout aussi la possibilité d'accéder à un service client de l'Etat disponible physiquement si on le souhaite. Un service capable de renseigner et d'aider rapidement avec toute la courtoisie nécessaire. Un interlocuteur d’Etat devenant plus service agréable que sévices pour l’usager qui en requiert le support, l’aide ou simplement la bonne information.
Il faut donc écrire, publier et si nécessaire améliorer les procédures, informer les usagers, éduquer autant les serviteurs d'Etat que les citoyens clients sur la nécessité d'un meilleur fonctionnement du service public au bénéfice de tous et en respectant les règles établies pour le bien de l’ensemble de la communauté.
L'information, la sensibilisation, l'éducation étant déjà en place, il faut dénoncer et réprimer les corrupteurs et leurs acolytes corrompus avec rudesse, sans faiblesse, ni répit.
Qui va dénoncer?
D'abord les témoins, ceux qui assistent aux actes de corruption. Leur garantir l'anonymat de la dénonciation, faciliter l’alerte sur le constat de corruption. Dénoncer, non parce qu'on va y gagner des points ou des rétributions financières. Mais dénoncer, car ceux qui brisent les règles cassent la société, installant le chaos des bandits entre les plus vicieux et les meilleurs brigands dans l'accomplissement des actes illégaux. Quand la cité est cassée, la normalité de l’honnêteté et les progrès qui en découlent sont piétinés par tous les lascars imbus d’avantages indus qui profitent à satiété de la destruction du bien-être commun.
La dénonciation est ensuite l’affaire des leaders, ceux qui sont responsables des structures, ceux qui doivent montrer les bons exemples, qui donnent parfois les ordres et doivent en suivre l’exécution. Ils sont chargés d'imprimer le rythme. C'est leur responsabilité, leur devoir devant l'histoire.
Que faisais-je un mardi matin dans le quartier administratif de Douala à Bonanjo ? J'essayais de procéder à l'enregistrement d'un fichier informatisé dans un serveur afin qu'il soit transmis à un autre serveur, tous deux dépendant du service public. Je n'ai pas réussi cet enregistrement, car semble-t-il, je n'étais pas au bon endroit, au bon moment.
Un usager très courtois à qui je demandai un renseignement ce matin-là me confia qu'il faudrait que je sois patient pour la réussite de l’enregistrement digital de mon fichier déjà informatisé. Je le remerciai et m'en allai continuer ma vie de vacancier en cette saison perpétuellement estivale où je contemple quelques beautés quelconques tout sourire, sous le soleil pluvieux de Douala.
Serge Mbarga Owona.
Mathématicien, poète, écrivain.
Bien vu. Il faut ajouter que certains profitent de ce qu'il y a des difficultés administratives réelles, pour en inventer de fictives et piuvoir racketter les usagers.
RépondreSupprimerJe l'ai souvent dit, il est clair que le dispositif actuel de lutte contre la corruption au Cameroun ne mènera pas à grand chose, pour une raison simple : il ne s'attaque qu'aux aspects superficiels, c est à dire faire en sorte que les gens ne PUISSENT pas se livrer à la corruption. Sans s'attaquer à faire en sorte que les gens ne VEUILLENT pas se livrer à la corruption
Parfait. La corruption, c'est la rencontre entre un corrupteur et un corrompu. Dans le cas d'une attente de services, l'agent de guichet n'a pas grand chose faire, que d'exiger que l'usager s'exécute. Si non, rien.
SupprimerLisez ce que dit l'auteur:
"Que faisais-je un mardi matin dans le quartier administratif de Douala à Bonanjo ? J'essayais de procéder à l'enregistrement d'un fichier informatisé dans un serveur afin qu'il soit transmis à un autre serveur, tous deux dépendant du service public. Je n'ai pas réussi cet enregistrement, car semble-t-il, je n'étais pas au bon endroit, au bon moment."
C'est d'une telle aberration, que cela est inconcevable d'en faire un élément de rouage administratif. C'est un mensonge qui n'a pour seul but que de générer une transmission d'argent entre l'usager et l'agent de l'état.
Comment, un agent de guichet, peut-il se mêler de transmission de fichiers informatiques? Inconcevable. Un ordinateur sait le faire tout seul. Il sait faire 1M de fois plus de choses que cela, à la seconde. Mais, chez nous, au cameroun, en 2021, des agents de guichets transmettent des fichiers informatiques à des serveurs, afin qu'ils les transmettent à d'autres serveurs. Nous réinventons l'informatique, pour l'adapter à notre sauce.
Comment voulez-vous que le pays avance, adopte un visage moderne, avec de tels mensonges, de telles escroqueries, de tels boulets bêtement organisés?
Cela se passe au vu et au su de tout le monde. Les haut-placés sont dispensés de ces taxes, grâce aux honneurs dus à leur rang.
Mais si par hasard, une personne fait une déclaration relativement politique, un peu dérangeante, elle est immédiatement appréhendée et mise sous cachot. Comme si elle portait une maladie contagieuse. Comme si elle était plus dangereuse pour la société, que la corruption et ses mentors, qui pourrissent ce pays, et ternissent son image, au-delà de nos frontières.
L'informatique est un mauvais agent de la corruption. Alors, elle s'en sert pour affiner les raisons des dessous de table. Tant que tout le monde en profite, rien ne bouge.
La corruption une gangrène sucrée : le corrompu et le corrupteur se sentent satisfaits. Ils se disent qu'ils ne font de mal à personne. Pourtant,la corruption détruit l'économie, des vies, des espoirs et des pays.
RépondreSupprimerBravo à vous Monsieur Mbarga 👏