dimanche 8 mai 2022

Retour au pays natal.

Le 08 Mai 2008, un avion de la compagnie aérienne Air France a atterri à l’aéroport de Yaoundé Nsimalen. C’était il y a 14 ans et j’étais dans cet avion. Peu de personnes étaient au courant du périple que j’avais entrepris de façon décisive quelques mois plus tôt pour rentrer au Cameroun. Il faut dire que plusieurs années auparavant, fraichement muni d’un Diplôme d’Etudes Approfondies en physique mathématique de l’Université des Sciences et technologies de Lille en France, j’avais décidé de rentrer chez moi. « Tu viendras faire quoi ici ? » ; « il n’y a rien pour toi ici », furent quelques-unes des phrases sentencieuses qui me furent dites, tant en famille, que devant les portes closes que j’essayai d’ouvrir.

Au mois de février 2008 je fus contacté par une entreprise privée camerounaise, une multinationale de télécommunications. Pourquoi fus-je contacté ? Parce que mon CV était dans leur base de données et mon profil les avait intéressés. Pourquoi mon CV était-il dans leur base de données, parce que je l’y avais déposé, à la faveur de mes voyages au Cameroun pour promouvoir mes livres et mener des activités de vulgarisation technologique et culturelle ; notamment mon premier ouvrage paru en 2005 chez l’éditeur l’Harmattan à Paris: « Le jeu de Songo ».

Je fais ce rappel rétrospectif pour montrer qu’un retour au pays natal est un projet qui se bâtit sur la durée avec la volonté inébranlable de rentrer. En Février 2008, j’étais responsable multimédia travaillant à Lille et je reçus le coup de fil d’une dame, une jeune camerounaise qui m’informa que la Direction Marketing de sa multinationale souhaitait s’entretenir avec moi en vue d’un recrutement au Cameroun, dans leur nouvelle unité en charge du développement des produits et Services Internet. Je n’avais pas de problème d’emploi, ni un problème de subsistance quelconque. Je reçus cette information avec calme et enthousiasme. Puis, je n’eus plus de nouvelles pendant quelques semaines. Je me dis alors que quelqu’un d’autre avait peut-être été recruté. Je rappelai le numéro de contact qui m’avait été fourni et un Monsieur m’informa que des troubles sociaux survenus au Cameroun en février 2008 avaient entraîné la suspension des processus de recrutement des collaborateurs.


L’entretien téléphonique eut finalement lieu au mois de Mars 2008. J’avais à l’autre bout du fil trois jeunes camerounais rigoureux qui me parlèrent de leur besoin, de l’intérêt de mon profil pour les nouvelles orientations de l’entreprise liées au développement de l’Internet au Cameroun. Je fus très sérieux, mais détendu pendant cet échange qui dura plus d’une heure.  J’avais un emploi confortable, stable en France, à Lille dans un environnement professionnel épanouissant et respectueux de la diversité ; je maîtrisais les enjeux du développement de l’Internet, car depuis la fin de mon parcours académique, j’avais travaillé à Paris dans des environnements de développement de logiciels informatique et de mise en place de services multimédia en relation avec les nouveaux besoins du réseau Internet.

J’avais déjà publié quelques livres, développé des projets personnels sur des logiciels de jeux divers (Dames, Ludo, Awalé, Songo, Chiffres et lettres…) avec des versions disponibles sur Internet ; je m’occupais d’un site Internet communautaire dans lequel je publiais des articles sur des enjeux d’innovation technologique en Afrique en rapport avec l’identité culturelle, je participais à des séminaires et des projets de vulgarisation scientifique et technologique au Cameroun, j’étais également actifs dans des radios locales à Lille avec des amis issus de pays divers et d’horizons intellectuels variés : juristes, philosophes, journalistes, mathématiciens, chimistes, ingénieurs etc. « Il faut rentrer au Cameroun, nous avons besoin de profils tels que le tien ». Tels furent en substance les mots du Directeur qui menait l’entretien. Je reçus un contrat quelques jours plus tard, je le signai et le renvoyai au Cameroun. Ainsi fut bouclé mon retour.

Je n’avais jamais vu, ni entendu parler des personnes avec lesquelles je scellais ainsi mon retour au pays. En discutant au téléphone, nous avions établi un lien de confiance bâti sur mon parcours, mes réalisations, ma volonté de rentrer, le besoin de l’entreprise, l’expertise des recruteurs dans la connaissance des profils qu’ils recherchaient. Je rencontrai mes trois interviewers une fois arrivé au Cameroun. Ils étaient en tous points conformes à l’impression qu’ils me firent au téléphone, deux hommes et une femme ; des leaders camerounais, africains optimistes convaincus.


Pourquoi va-t-on ailleurs ?

Les raisons du départ sont nombreuses et dépendent des rêves, des moyens, des problèmes, des espoirs, des besoins, des habitudes culturelles et des contraintes de chacun.

Pour certains jeunes ou moins jeunes camerounais, les rêves d’un meilleur accomplissement social ou professionnel ne se trouvent pas au Cameroun, mais ailleurs. Ils s’en vont donc pour réaliser leurs rêves quelle que soit la position sociale, les avantages et facilités dont ils bénéficient au Cameroun. Pour d’autres, le départ est l’opportunité de trouver les moyens d’une meilleure existence. Pour ceux-là, le pays n’offre aucune perspective de bonne existence. Il faut donc absolument partir pour aller tenter sa chance ailleurs. Ce départ est précédé d’une épargne suffisante pour tenir pendant le temps variable du parcours et celui où le risque commencera à devenir payant. Bien évidemment, l’échec est envisagé, mais on le met sur la balance avec un manque de perspectives rassurantes dans son pays de naissance.


Il y a des femmes et des hommes qui partent parce qu’ils ont des problèmes. Des problèmes d’emploi, des problèmes sociaux, politiques, des problèmes de santé. Le Cameroun n’ayant pas su répondre à leurs difficultés, ils regardent ailleurs afin de trouver des solutions plus intéressantes ou moins stressantes pour leurs vies. Ces départs sont contraints. Il est probable qu’une fois les difficultés qui ont conduit au départs résolues, le retour au pays natal est envisagé, puis concrétisé. L’ailleurs est parfois aussi le lieu où le voyageur va nourrir les espoirs d’un avenir meilleur. L’ailleurs devient le lieu d’où l’on reste accroché au chez soi, vivant là-bas, mais l’esprit enchaîné dans un quotidien situé ici, à des milliers de kilomètres. Un quotidien auquel on s’intéresse passionnément, malgré le temps qui indubitablement produit sur soi les effets de l’Homme déphasé ; la perte de contact avec la réalité fluctuante du pays des origines.


On s’en va également parce qu’on a des besoins : besoin de perfectionnement professionnel, de parachèvement d’une formation de haut niveau avec les meilleurs spécialistes mondiaux, besoin de découvrir des horizons académiques inexistants au Cameroun ou de qualité moindre ici ; besoin de refaire sa vie, ou tout simplement besoin de respirer un air différent sous des latitudes nouvelles. Alors, on s’en va afin que l’ailleurs comble ses besoins. Il y a aussi des peuples dont l’émigration est un trait culturel séculaire. Pour eux, partir est une habitude ancestrale. On part en restant attaché au chez-soi comme d’autres l’ont fait avant. Le départ n’est ni un drame, ni un exploit particulier. C’est une aventure quasi initiatique, une expérience qui se transmet depuis de nombreuses générations et qui est amenée à se poursuivre.


En 1993, tout juste bachelier (BAC C) dans le plus grand Lycée public du Cameroun, le Lycée General Leclerc de la capitale Yaoundé, je m’envolai pour Lille en France. Ce voyage avait été préparé à mon insu de longues années avant, par mes parents qui étaient fonctionnaires pour l’un et infirmière dans une société parapublique pour l’autre. Ils avaient donc dû beaucoup épargner, beaucoup se priver et priver la famille de ressources financières stockées dans une longue épargne. L’épargne de mes parents fut conséquente pour payer les frais très importants exigés pour que je puisse effectuer des études sérieuses dans un pays au niveau de vie plusieurs fois plus élevé que celui du Cameroun. Mon départ avait donc été décidé par mon père et ma mère afin selon eux que je puisse bénéficier d’un avenir meilleur. L’émigration ne figurait dans aucun de mes plans d’avenir. J’étais un adolescent épanoui dans la pleine jouissance de ses 18 ans à Yaoundé.


Ayant effectué un parcours scolaire rigoureux et sans aucune fausse note dans des écoles publiques au Cameroun, j’avais été éduqué tant au niveau scolaire que familial dans le culte de l’excellence et la certitude que le Cameroun offrait des opportunités d’éducation sérieuse et d’épanouissement appréciable quand on avait la détermination nécessaire et le talent suffisant.

J’étais certainement trop enthousiaste et embué dans la naïveté juvénile des esprits qui ont été biberonnés dans un socle familial de la classe moyenne, pas riche, mais possédant ce que mon père nomme toujours « le minimum vital ». Un environnement surtout honnête et protecteur. Pendant longtemps, nous avions vécu dans ce qu’on appelle une maison en terre battue recouverte de ciment. Il en était de même pour les maisons de mes copains d’enfance. Nous étions heureux dans nos vies simples, dans notre quartier populaire.

Le cadre familial modeste était un paradis de liberté, d’émulation intellectuelle et d’apprentissage de la vie avec une éthique de l’effort, de la connaissance profonde de sa culture et de l’amour de son pays. Deux ans avant mon départ, mes parents avaient achevé les travaux de leur nouvelle maison. Elle n’était plus en terre battue, c’était une villa bâtie en matériaux définitifs : parpaings de sable et de ciment, béton, tôle ondulée etc.


Mais les parents avaient décidé que je devais partir. Certains que c’était le meilleur choix pour moi, ils avaient préparé mon départ de longue date, malgré la liberté totale dont nous avions toujours bénéficié dans le choix de nos études. Il fallait juste être sérieux à l’école. D’ailleurs, un petit challenge avait été établi par notre mère, entre tous les enfants de la maison ; frères et sœurs, cousins. Il fallait avoir la meilleure note à chaque trimestre, quelle que fût sa classe. Si un petit cousin en CP avait 18 de moyenne et une grande sœur en terminale n’avait que 13, le premier lot revenait au cousin de CP. Chaque enfant voulait être lauréat du challenge. Il y eut ainsi une positive émulation pour les études dans notre maison.

Puisque je devais partir, alors je partis avec la patiente et irrésistible détermination de revenir un jour, car autant à la maison, à l’école ou dans mon quartier, la culture populaire nous avait martelé une propagande patriotique un peu bête, mais terriblement efficace : « vert rouge jaune, c’est la plus belle des couleurs ».


Pourquoi faut-il rentrer ? 

Avec d’autres, nous sommes le fruit d’une éducation populaire camerounaise qui a fait du drapeau national notre premier emblème de fierté. Il y avait le drapeau tricolore étoilé à l’école, de la maternelle au lycée et les enseignants nous parlaient du Cameroun avec enthousiasme et passion. « Vous êtes la fine fleur », nous avait dit un enseignant de première C au Lycée, pour nous exalter à plus d’efforts. Adolescents, nous avions déjà pleinement conscience des œuvres des héros nationaux Martin Paul Samba, Douala Manga Bell, Um Nyobé, Mbappé Leppé, Roland Moumié…Nous étions camerounais et rien d’autre n’existait en dehors de notre pays exceptionnel, le Cameroun dont les exploits intellectuels, culturels et sportifs étaient célébrés chez nous et dans le monde entier. Le premier pays africain quart de finaliste d’une coupe du monde de football ; le pays de Roger Milla et de Manu Dibango. L’Afrique en Miniature.

Cette propagande patriotique avait contribué à construire chez certains comme moi et ceux de ma génération un état d’esprit de champions, sûrs de leur place dans leur pays, marchant tête haute et certains que l’ailleurs n’offrait pas forcément l’idéal de vie.

Je partis donc en Europe contraint et ce déchirement fut ancré en moi de longues années durant. Pourquoi doit-on partir alors qu’on a pratiquement tout pour bâtir le bonheur ici ? A 18 ans, je n’avais pas de réponse à cette question. D’ailleurs personne dans la famille n’aurait écouté ma réponse. Pour certains jeunes bacheliers, partir était la seule issue intéressante, viable. Celle qui donnait l’impression qu’on était sur la voie de la réussite. Pour moi et bien d’autres, nous étions d’ici, faits pour ici, nourris du ferment local. Partir c’était laisser dépérir une partie de soi. Je suis parti, mais je ne pouvais que revenir.


Dans le concert des nations comme on dit, il y a des pays très misérables, des pays pauvres, des pays à revenus moyens, des pays en voie d’émergence, des pays émergents, des pays développés, des pays très développés et des pays émirats. Le Cameroun n’est pas un pays pauvre. Pendant longtemps, nous fûmes un pays à revenus moyens. Depuis une dizaine d’années, nos récurrents problèmes de vol des biens publics, de corruption, de cupidité maladive, d’inadéquation des politiques publiques avec les exigences réelles de développement ont l’attention de la communauté nationale publique et privée, car il semble désormais évident aux yeux d’une majorité de leaders que nous n’avons pas le choix. Le pays est en danger. Il faut en être conscient et agir intelligemment.


Nous savons que nous ne vivons pas sur le dos d’une vache à lait ; le Cameroun n’a pas que des amis. Il faut construire sérieusement, sinon le chaos s’installera et il ne cessera de s’immiscer dans tous les pans de la société. Il n’y a pas de bâton magique lorsqu’on rentre dans la spirale infernale du chaos. Il y a les conflits, les assassinats, le développement de tous types de rapines, d’injustices et la multiplication des loups locaux ou étrangers aux crocs vifs, puissants et acérés, sans pitié qui profiteront de la décrépitude systémique chronique pour s’enrichir au détriment des enfants, des femmes, des jeunes et des vieux gens qui ne demandent qu’à vivre paisiblement une vie normale. Alors, il faut rentrer pour bâtir, chacun à son niveau.


Il est évident que tout le monde n’a pas le même niveau de résilience, de compétence, de détermination ou la volonté inébranlable de faire face coûte que coûte. Mais, chacun selon ses opportunités, ses possibilités, peut agir pour cette patrie qui est nôtre, le Cameroun. Notre Afrique en Miniature. Il faut rentrer bâtir, car nous sommes convaincus que le paradis s’il existe n’est pas ailleurs, mais ici. Il ne faut pas être naïf et penser qu’il est facile de s’établir ici. Les problèmes structurels, administratifs sont nombreux, les tares au niveau de certaines mentalités sont toujours très préoccupantes avec notamment cette vicieuse corruption endémique à toutes les échelles de la société, le népotisme, le clientélisme, l’affairisme, l’irrespect en milieu public ou professionnel, les harcèlements insidieux, le tribalisme idiot, l’intolérance violente, pernicieuse qui empêche la libération de toutes les énergies positives volontaires.


Mais il faut lutter. Nos pays sont régis par des espèces de logiques d’attraction Gravitationnelle Universelle connues des physiciens. Il faut une poussée initiale forte de la fusée du développement pour se retrouver hors des misères endémiques symbolisées par l’attraction terrestre, vers le bas. Cette poussée doit être puissamment alimentée par toutes les bonnes volontés conscientes, les compétences visibles et invisibles qui agissent pour qu’ici aussi, chacun puisse vivre normalement. Se soigner normalement, éduquer ses enfants normalement, trouver un emploi ou créer son business normalement, aller au stade, au cinéma ou au musée normalement, voyager normalement dans son village ou ailleurs dans tout le pays, gagner son argent normalement, se marier et fonder une famille normalement, vieillir normalement…


La normalité pérenne et structurelle exige des efforts intelligents, constants, consistants, cohérents ; beaucoup d’efforts ; mais le premier consiste pour celles et ceux qui sont ailleurs comme je le fus pendant 15 ans, à rentrer au pays. Il faut rentrer si on le peut. Le retour nécessite de préparer, de connaître le chemin. Il faut parfois le tracer soi-même quand il n’existe pas. Il faut s’informer, questionner, observer. Puis il faut prendre le bon chemin pour alimenter la fusée qui mettra le pays tout entier hors de portée des pesanteurs qui le font chuter et péricliter avec des conséquences néfastes sur l’éducation, la santé, la prospérité, la sécurité de tous et de chacun…

Quand on a été ailleurs, on a au minimum un double regard pertinent et conséquent sur les choses. Ce n’est jamais un inconvénient.


Serge Mbarga Owona

Mathématicien, écrivain, poète.

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